Management interculturel, faits et préjugés

management interculturel et préjugés

« Il est plus difficile d’éliminer un préjugé que de diviser un atome »

Albert Einstein

Notre monde beaucoup plus ouvert aboutit au développement d’équipes de travail multiculturelles et donc à la collaboration étroite entre des individus de nationalités, de valeurs et de comportements très différents.

Devenues le quotidien pour un nombre croissant de cadres et de responsables, la gestion des équipes de travail multiculturelles et la capacité à manager la diversité sont indéniablement des compétences clés.

Et pourquoi ne pas commencer par la perception du management à la française vu de l’étranger ?

Frank Bournois, ancien directeur du Ciffop et aujourd’hui directeur général de l’ESCP Europe, Yasmina Jaïdi, maître de conférence à l’université Paris 2 Panthéon Assas et Ezra Suleïman, professeur à l’université de Princeton ont conduit une étude sur « le management français vue d’ailleurs » en 2014 auprès de 2 200 managers étrangers de 18 entreprises du Cac 40 travaillant en France ou hors des frontières.

Les traits dominants qui en ressortent sont riches d’enseignement, même s’il faut les relativiser compte-tenu de l’antériorité (2014) et de la taille des entreprises étudiées (CAC40)

Une hiérarchie encore verticale et parfois élitiste

« Les étrangers ne comprennent pas toujours qu’on parle encore de l’école qu’on a fait alors qu’on a 20 ans d’expérience », selon Yasmina Jaïdi.

Les termes récurrents sur le « management à la française », sont « hiérarchie ». « Réseaux » et « centralisation ». D’autant plus lorsque les sondés sont d’origine anglo-saxonne. Ce facteur est parfois marqué dans l’état major de groupes globaux, ou les réseaux d’école, « le label » peuvent parfois prédominer sur les qualités personnelles.

Des réflexes individualistes

Pour de nombreux collaborateurs étrangers, leurs collègues français privilégient l’individu au collectif et sont peu portés sur le travail collaboratif.

Les managers français s’avèrent « très accessibles, humains et particulièrement à l’aise dans la relation individuelle, note Yasmina Jaïdi, mais pas très tournés vers le collectif. »

Selon un manager norvégien : « Typiquement, certains managers français ont tendance à mettre en avant leur propre carrière au lieu de penser collectif. Il y a tant d’exemples comme cela. Mais cela change avec l’arrivée d’équipes de plus en plus internationales »,

(Syndrome toutefois fréquent dans le haut de la pyramide des world companies, toutes nationalités confondues, quand la politique prend le dessus)

Un management implicite et des codes peu accessibles aux étrangers, mais du savoir vivre !

De nombreuses décisions importantes seraient prises en dehors du cadre formel des réunions mais autour de la machine à café ou lors de rencontres entre deux portes.

Or il faut généralement plus d’un an – 12,4 mois précisément – d’adaptation en moyenne pour comprendre ces codes, ce qui place la France un peu au-dessus de la moyenne par rapport à ses concurrents. D’où l’intérêt de ne pas imposer d’objectifs démesurés pour les salariés étrangers au cours de cette année d’adaptation… Cette difficulté est accentuée par l’importance que revêt encore la pratique du français dans les discussions de couloirs…

En revanche, l’avis des cadres étrangers sur le savoir-vivre des managers hexagonaux est positif : Ils apprécient notamment la pause déjeuner.

Les managers français restent les ambassadeurs du savoir-vivre à la française. « Avec les Français, tout s’arrête pour le déjeuner, peu importe ce qui peut arriver. Jamais tu ne verras un manager français avec une lunch-box ! », S’exclame l’un d’entre eux. Mais il se passe plein de choses lors de ces repas, ce qui échappe totalement aux managers allemands ou anglais, pour qui c’est surtout une perte de temps ! »

Une culture orientée sur la recherche de la performance

Un point marquant soulevé par les auteurs de la recherche : 77,9% des cadres internationaux pensent qu’il y a une réelle culture de la performance dans les entreprises tricolores et que chacun est poussé au maximum de ses possibilités. La performance serait d’ailleurs pour 53 % des répondants une des valeurs fondamentales pour évoluer dans l’entreprise. Les managers interrogés apprécient par ailleurs les capacités conceptuelles et d’analyse des seniors managers français. Autres valeurs positives: la fidélité et l’éthique.

« Les managers français sont appréciés pour leur habileté dans le maniement des concepts et l’analyse en profondeur de problèmes complexes. Ils examinent un problème sous tous les angles, car ils ne veulent pas prendre trop de risques. C’est aussi une preuve de leur engagement et de leur perfectionnisme. Ils veulent bien faire. »

Au risque de tomber dans les clichés et autres préjugés, des traits culturels persistent selon l’origine

Les occidentaux accordent aux mots une importance prédominante. Ailleurs, en Asie notamment, il faut noter un rôle très important des signes non verbaux, comme le regard, l’intonation ou les expressions du visage.

La notion du temps peut connaitre une certaine « élasticité » en Inde ou en Afrique, alors qu’aux Etats-Unis « time is money ». Tandis que les relations interpersonnelles et la confiance accordée intuitivement peuvent conditionner le cours d’un projet en Asie ou au Moyen-Orient,

Pour approfondir sur le sujet, Erin Meyer, professeure de management interculturel à l’INSEAD, a développé un outil pour visualiser ces malentendus qui peuvent survenir entre des équipes de deux pays différents. La Harvard Business Review publie une version interactive de ces comparaisons internationales. https://hbr.org/web/infographic/2014/04/comparing-management-cultures

SOURCE / Harvard Business Review

Les différences culturelles sont la source de nombreux malentendus dans un cadre professionnel international et multiculturel.

Ainsi sur la fiche qui compare Français et Allemands, on verra que les premiers ont tendance à être flexibles sur les délais et l’emploi du temps, ce qui agacera les seconds. Lesquels seront cependant encore plus éloignés culturellement de la conception du temps d’un Indien ou d’un Brésilien.

Français et Allemands se retrouvent par contre sur leur préférence pour les organisations hiérarchiques, et ont en commun de ne pas hésiter à faire connaître leurs désaccords.

Autre rapport intéressant : les Américains et les Français. Les managers américains aiment aller à l’essentiel, quand les Français sont formés à réfléchir dans un cadre conceptuel avant de prendre une décision.

Les Américains, quand ils se montrent critiques, aiment enrober ces messages négatifs de points positifs, ce que les Français jugent inauthentique. A l’inverse, les critiques très directes des Français sont perçues comme rudes et démotivantes par les Américains.

Autre configuration : celle des Japonais par rapport aux Français. Plus formalistes que les Français, ils détestent la confrontation directe et sont plus diplomates quand il s’agit de formuler des critiques. Même s’il faut parfois faire preuve de créativité « Par exemple, lors d’un brainstorming avec des Japonais, qui n’aiment pas se livrer en public, vous pouvez proposer aux participants de mettre leurs idées par écrit et de façon anonyme »

Ces différences doivent cependant être maniées avec précaution, car les recommandations d’hier n’ont plus forcément cours », Nombre de personnes bougent, étudient et travaillent à l’étranger, s’imprégnant de vernis culturels successifs. Plus qu’à une culture, le manager s’adapte d’abord à un individu

On peut aussi s’amuser de la manière dont les managers français sont perçus à l’étranger, comme sur ce résumé qu’en fait le site World Business Culture :

« L’intellectualisme est quelque chose qui est apprécié [en France] plutôt que moqué et on attribue au management français cette maxime : “en pratique c’est une bonne idée, mais est-ce qu’elle marchera en théorie?”»